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Anthologie poétique 

Esthétique de la boue

“ MIGNONNE, ALLONS VOIR SI LA ROSE "

Poème du XVIème siècle

               

Mignonne, allons voir si la rose,

Qui, ce matin, avait déclose

Sa robe de pourpre au soleil,

A point perdu, cette vêprée,

Les plis de sa robe pourprée,

Et son teint au vôtre pareil.

 

Las ! Voyez comme en peu d’espace,

Mignonne, elle a, dessus la place,

Las ! las ! ses beautés laisser choir !

O vraiment marâtre Nature,

Puisqu’une telle fleur ne dure

Que du matin jusques au soir ! 

 

Donc, si vous me croyez, mignonne,

Tandis que votre âge fleuronne

En sa plus verte nouveauté,

Cueillez, cueillez votre jeunesse : 

Comme à cette fleur, la vieillesse

Fera ternir votre beauté.

RONSARD

« CUEILLEZ DES AUJOURD'HUI LES ROSES DE LA VIE »

Poème du XVIème siècle

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle, 
Assise auprès du feu, dévidant et filant, 
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant : 
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! » 

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, 
Déjà sous le labeur à demi sommeillant, 
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant, 
Bénissant votre nom de louange immortelle. 

 

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os, 
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ; 
Vous serez au foyer une vieille accroupie, 

Regrettant mon amour et votre fier dédain. 
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain : 
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. 

RONSARD

ALCHIMIE DU VERBE

 

     A moi. L’histoire d’une de mes folies.

     Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes. J’aimais les peintures idiotes, dessus de porte, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires : la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

     Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.

     J’inventais la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

     Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges.

Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, 1873 (poèmes en prose)

VOYELLES

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

 

Arthur Rimbaud, Poésies, 1871-1872

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