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Montaigne, Les Essais : Des Cannibales et Des Coches

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Littérature d’idées

« Notre monde vient d’en trouver un autre. »

 

Suggestion de lecture complémentaire

                                 Uchronie : fiction qui imagine la réécriture d’un fait historique en le modifiant.

Et si...

 

CiviliZation, Laurent Binet, 2019

 

Atahualpa, dernier empereur des Incas selon l’Histoire, est venu envahir l’Europe de Charles Quint au XVIème siècle. Les Incas découvrent les Européens qui les observent étonnés. 

 

Les tondus[1], tout craintifs qu’ils étaient, ne laissaient pas d’être intrigués. Qui étaient ces visiteurs ? Ils admiraient nos vêtements, touchaient nos oreilles, et se perdaient en conjecture. La présence des femmes les plongeait dans une agitation extrême, et tout particulièrement Huiguénamota[2], dont la seule vue semblait les aveugler comme le soleil, car ils se cachaient les yeux avec leurs mains et détournaient la tête sur son passage. Ils voulurent lui passer sur les épaules un de leurs mauvais linceuls[3], mais elle les repoussa en riant. La princesse cubaine portait pour seuls habits des bracelets qu’elle tenait de sa mère, aux poignets et aux chevilles, ainsi qu’un collier en or dont Atahualpa lui avait fait présent. 

 

[1]Les tondus : qualificatif donné aux Européens dont les cheveux sont coupés courts. 

[2]Elle est nue. 

[3]Linceul : drap mortuaire ; ici, manteau. 

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                       Biographie de Montaigne (1533-1592)

  • Sa formation : son père[1], enthousiaste pour les idées de la Renaissance (même époque que Rabelais), lui fait apprendre le latin dès son plus jeune âge, selon une méthode entièrement nouvelle, avec un précepteur allemand qui ne parle pas français et communique en latin. Puis, il envoie son fils au collège de Guyenne[2] à Bordeaux où il s’ennuie fermement. Il a sans doute par la suite étudié la philosophie, puis le droit.

  • Le magistrat (1554-1570) : en 1554, il devient conseiller à la Cour des Aides[3] de Périgueux, puis passe au Parlement[4] de Bordeaux. Il se rend 2 fois à Paris (pour y nourrir des ambitions politiques ?). Il semble déçu, se marie et résigne sa charge en 1570. Il ne garde de ces années que le souvenir merveilleux de son amitié avec La Boétie, son collègue au Parlement.

  • L’amitié : ce n’est pas simplement une rencontre amicale (en 1558), c’est aussi la rencontre de deux esprits. La Boétie, auteur de La servitude volontaire, initie Montaigne au stoïcisme et surtout lui donne un spectacle sublime au moment de sa mort. C’est une amitié dont jamais Montaigne ne trouvera d’équivalent et qui va le pousser à écrire. La Boétie lui léguera sa bibliothèque et l’incitera à écrire. 

  • La retraite au château de Montaigne : Montaigne se retire sur ses terres après un dernier séjour à Paris pour se consacrer à l’étude et à la réflexion. C’est dans sa bibliothèque (une tour du château) qu’il commence à rédiger les Essais, tout en lisant Plutarque (dans la traduction d’Amyot) et Sénèque. 

  • Le diplomate : cependant, il a été nommé chevalier de Saint-Michel et gentilhomme[5] ordinaire de la chambre[6] du roi (titre honorifique accordé en 1571) et est appelé au cours de la quatrième guerre de religion pour différentes missions diplomatiques. Il est frappé par la cruauté des massacres et par la montée des fanatismes et de l’intolérance. De retour sur ses terres, il publie la première édition des Essais en 1580.

  • Sur les routes d’Europe (1580-1581) : Montaigne, atteint de la maladie de la pierre[7], tente de se soigner et essaie les eaux les plus réputées d’Europe (France, Allemagne, Italie) ; il en profite pour se distraire et s’instruire avec un esprit d’une grande curiosité. Cependant, il apprend qu’il vient d’être élu maire de Bordeaux (septembre 1581) et se voit obligé de rentrer malgré lui.

  • La vie publique (1581-1585) : Montaigne ne rentre pas guéri, mais riche d’expériences, d’observations qu’il a notées dans son Journal de voyage. Les premières années se déroulent calmement, mais, après sa réélection en 1583, des difficultés surgissent : il doit tenter de rapprocher Henri de Navarre[8] et le maréchal[9] de Matignon, gouverneur[10] de Guyenne et dévoué à Henri III ; il doit empêcher les entreprises de la Ligue[11] de Bordeaux ; il doit faire face à la peste qui éclate : il fuit la ville et ses terres (ce qu’on lui reprochera, d’ailleurs).

  • Les dernières années (1586-1592) : retrouvant le calme, Montaigne publie une nouvelle édition des Essais, corrigée et grossie d’un troisième livre en 1588. Il subit quelques péripéties en allant à Paris où il est dévalisé, puis embastillé au cours des troubles de la journée des Barricades[12] (1588). Il fait la connaissance de Mademoiselle de Gournay qui admire son œuvre et qui sera sa fille d’alliance (elle fera une édition posthume des Essais).

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Littérature d'idées : "notre monde vient d'en trouver un autre."

Plan des deux chapitres des Essais : Des Cannibales, 1580, et Des Coches, 1580

Plan du chapitre Des Cannibales, Montaigne (édition Folio+ Lycée), 1580

 

Incipit, p.11-12 : exemples littéraires sur le barbare antique (barbare : qui ne parle pas le grec) et réflexions sur la découverte de nouvelles terres. 

Vaste digression, p.12-18, sur les origines de ces nouvelles terres récemment découvertes : 

-p.12, mythe de l’Atlantide + note 9, p.12 (débat du XVIème siècle : l’Atlantide est comparée au nouveau continent : l’Amérique serait-elle la nouvelle Atlantide ?) et note 4, p.17 (Montaigne tranche pour un autre continent : l’Atlantide n’est pas ce continent récemment découvert).

-p.17 : rapprochement des dégâts causés par l’eau sur la terre avec l’engloutissement de l’Atlantide. Sa rivière Dordogne cause des dégâts aux bâtiments et la mer ronge le littoral dans les propriétés de son frère (p.18).

-p.18 : évocation d’un fait historique : les Carthaginois (Tunisie actuelle), grands navigateurs, avaient entrepris dans l’antiquité l’exploration des côtes africaines et auraient découvert des terres : l’Amérique serait-elle cette terre déjà découverte autrefois ? 

Fin de la digression, p.18 : Montaigne revient sur le témoin dont il a parlé dans l’incipit, p.11 : il évoque l’intérêt d’un homme simple comme témoin, p.18-19 : c’est un homme qui ne cherche pas à défendre une thèse pour paraître savant, mais qui raconte simplement ce qu’il a vu. 

Sujet principal du chapitre enfin abordé, p.20-22 : qu’est-ce qu’un sauvage selon Montaigne ? L’auteur donne une définition novatrice du sauvage : c’est un être qui vit à l’état de nature. 

Mœurs (façon de vivre) des cannibales, p.22-32 : habitation, repas, boisson, cannibalisme, polygamie, art de la guerre (connaissances tirées de témoignages, de lectures, mais aussi de la constitution d’un cabinet de curiosités -note 1, p.24- ; passages centraux et essentiels -repris de Jean de Léry, note 9, p.25-, mais qui arrivent tardivement car Montaigne prépare son lecteur à accepter les mœurs étranges des cannibales). 

Conclusion, p.32-33 : rencontre avec 3 Brésiliens à Rouen. 

 

Plan du chapitre Des Coches, Montaigne (édition Folio+ Lycée), 1588

 

Montaigne consacre en apparence son essai à parler des coches, c’est-à-dire des voitures tirées par des chevaux qui servent aux puissants à étaler leur richesse aux yeux de tous. Mais derrière ce sujet apparent, il veut dénoncer la violence et la cruauté des conquistadors, ainsi que les défauts de notre civilisation. Sans doute l’antiquité gréco-romaine a-t-elle produit de grandes œuvres, mais les rois du Mexique et du Pérou ont construit des routes extraordinaires dans des régions inaccessibles, sans gaspiller leurs biens comme le font nos rois et nos princes. C’est ainsi que l’évocation du Nouveau Monde permet de souligner l’infériorité de nos mœurs et de notre religion. Au moment où tous applaudissent à la conquête de l’Amérique et aux richesses qu’elle apporte, Montaigne sauve la dignité de la conscience humaine en en faisant la critique. 

 

Propos général où Montaigne explique que les auteurs, lorsqu’ils donnent une explication à tel ou tel phénomène, allèguent des « causes » diverses auxquelles ils ne croient pas forcément, p.37.

Exemples illustratifs : d’où vient donc la coutume de bénir ceux qui éternuent ? p.37 ; d’où vient le mal de mer ? est-ce de la crainte ? Montaigne, sujet au mal de mer, sait par expérience que non, p.37-38. 

Conséquence : M fait un développement sur le courage, p.38-39. 

Autre malaise, celui qu’il éprouve à voyager en coche : c’est là qu’il tisse enfin le lien avec le titre du chapitre, p.40. 

. Par association d’idées, M en vient à souhaiter « dire ici l’infinie variété que les histoires nous présentent de l’usage des coches au service de la guerre ». Puis, des « coches guerriers », il passe aux chars royaux et impériaux, notamment dans la Rome antique, p.41-42. 

Nouvelle digression : il se met à réfléchir sur le bien-fondé de la libéralité royale, ce qui le ramène finalement aux somptueuses dépenses des empereurs romains, et surtout aux spectacles, p.42-50. 

. Or, dans ces spectacles, il convient d’admirer non pas la dépense, mais « l’invention et la nouveauté » qui révèlent surtout les limites de notre connaissance : on rejoint ici le point de départ de la réflexion sur les « causes », p.50-52. 

. De même, c’est en raison de ces limites que nous concluons aujourd’hui à la décrépitude du monde à cause de notre propre décrépitude, tout comme Lucrèce croyait assister à la naissance du monde en raison des « nouveautés et inventions » dont il était témoin, p.52. 

. Le développement sur le Nouveau Monde, qui occupe le dernier tiers de l’essai, est amené, par association d’idées, par l’opposition du vieux et du jeune monde (plan du passage à noter). Ce n’est que quelques lignes avant la fin que Montaigne semble revenir au sujet annoncé par le titre du chapitre : « Retombons à nos coches. » Mais c’est pour dire que des coches, ces hommes n’en ont pas ! p.52-64 (notes 3, p.58 et 6-7, p.61 importantes).

Les Incas (dernier roi, Atahualpa, Pérou, Cusco) et Aztèques (dernier roi, Cuauhtémoc, Mexico) : connaissances tirées de la lecture de Lopez de Gomara.

. Montaigne développe les qualités morales, artistiques et techniques des Amérindiens, mais aussi les ruses et les mensonges employés par les conquistadors pour tromper et mieux dominer. Par ailleurs, il explique que la nouveauté des chevaux, des armures et des armes à feu avait de quoi déconcerter ces peuples. Même César, le grand général antique, aurait craint ces phénomènes nouveaux, p.56.

. Les indiens se sont illustrés par leur courage pour se défendre et leur préférence pour la mort plutôt que pour la défaite ou la servitude. Beaucoup se sont laissés mourir. Hypothèse ou regret émis : si cette conquête avait eu lieu sous Alexandre le grand ou sous les Romains, ces peuples n’auraient pas été exterminés, mais assimilés. Montaigne marque une forte indignation, p.57. 

. Il expose divers mensonges et ruses utilisés par les conquistadors et les réponses sensées des Amérindiens, p.58-59. 

. Arrestation et exécution d’Atahualpa, p.59-60.

. Arrestation et torture de Cuauhtémoc, p.60-61.

. Récits rapportés par les conquistadors eux-mêmes qui n’éprouvent ni honte ni remords, mais fierté et gloire. 

Constat amer de Montaigne : les conquistadors, sur place, ont fini par s’entredévorer dans des guerres intestines et de nombreux convois marchands ont fait naufrage : punition divine selon l’auteur, p.62. 

. L’or n’est utilisé chez les Incas et les Aztèques que pour la décoration des palais ; il n’a pas de valeur marchande, p.63.

. Époque terrible : en Europe, comme en Amérique, on croit à la fin du monde et à l’Apocalypse (arrivée du 5ème âge chez les Incas et Aztèques). 

Conclusion : retour au début du chapitre et au titre. Montaigne revient sur le luxe et la magnificence des coches pour évoquer les moyens de transports Aztèques et Incas : pas de monture, pas de charriot, mais des porteurs et des chaises à porteur, p.64. 

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